mercredi 27 décembre 2017

Couple en crise #3 : faire de la muscu

Les crises de notre première année de mariage ont été riches en enseignements, et le troisième casse des briques: 
pour qu'un couple vive, il doit se parler.
clap clap clap
oui nous avons inventé l'eau tiède, aussi.

Revenons un tout petit peu sur ce point: oui, pour vivre, un couple doit parler. 
Chacun des deux doit se dire, dire ce qu'il ressent, se confier et s'ouvrir à l'autre. 
  • C'est d'autant plus nécessaire pour sortir de la crise que cette intimité partagée constitue à la fois la meilleure incitation et le meilleur moyen de trouver une solution qui convienne aux deux.
  • Si on ne se parle pas, chacun évolue dans son coin, et c'est ce qui fait qu'à un moment, on se retrouve avec l'impression de vivre avec un étranger. "Il a changé", dira-t-on. Certes ! C'est inévitable. 
    • Mais surtout: il aura changé sans qu'on s'en aperçoive, sans qu'on soit intégré dans les réflexions qui l'ont fait changer.
    • Les deux membres du couple changent, mais la seule manière d'éviter que ces changements ne se traduisent pas par un éloignement, c'est de passer son temps à en parler.
  • D'ailleurs, je ne sais plus où j'avais lu qu'une étude avait eu lieu, où on isolait des couples de parfaits inconnus en leur enjoignant de partager le maximum sur leurs vies, le plus de choses personnelles possible, durant une heure. 
    • Au bout d'une heure, hasard, hasard, une certaine attirance se développait entre les deux inconnus. 
    • C'est ce même mécanisme qui fait le jeu des affaires extra-conjugales: avec "le nouveau"/"la nouvelle", on parle! Ben oui, on n'est pas noyés par autre chose, on peut donc se livrer sans trop de frein à THE activité qui nourrit l'attirance.

Car justement, parler, dans un couple "établi", ce n'est pas toujours facile
et c'est là notre vraie 

[Leçon n°3]

La parlotte est un muscle, à fabrication lente et à désagrégation rapide. 

C'est donc un muscle à entretenir.



Moins on se parle, plus il est difficile de se parler. Et plus il est difficile de se parler de choses profondes.
Inversement, plus on se parle, plus il devient facile de se livrer vraiment, en confiance.

Le souci, c'est qu'il suffit déjà de peu de temps sans se parler, pour que se parler devienne plus difficile: la parlotte est un muscle fragile!
Alors qu'inversement, il lui faut vraiment du temps de parlotte pour ramener les membres du couple à un niveau d'intimité suffisant pour aborder des thèmes profonds et/ou douloureux.

Notons la notion de niveau d'intimité : on peut très bien se parler, beaucoup: des enfants, du boulot, de la liste de courses. Se parler en échangeant des informations, et non se parler en communiquant sur son ressenti, ce qui nous fait vibrer, ce qui nous préoccupe, ce qui nous constitue.

Or c'est ce niveau-là qu'il faut atteindre.
Et le pire, c'est que la notion de "niveau" est très juste. 
  • Dans un jeu vidéo, il n'est pas question de passer d'un coup du niveau 1 de jeu au niveau 5 : il faut se farcir tous les niveaux de jeux pour arriver au dernier. 
  • Dans un couple, c'est pareil: il faut prendre le temps de dire 
    • des choses bien prosaïques ("faut racheter du sucre"), 
    • d'autres un peu moins ("au boulot j'ai fait ci et ça"), 
    • d'autres encore moins ("les enfants ont eu piscine et je suis inquiète car ça semble angoisser Bidule"), 
    • pour arriver enfin au stade où on peut enfin se dire ("ces temps-ci je me sens comme ci ou comme ça, je rêverais de...")
Et comme dans les jeux vidéos, si on veut avoir la possibilité d'atteindre le niveau 5, cela demande d'avoir davantage que 5 minutes à y consacrer.
Je me souviens ainsi de petites vacances à Amsterdam, il y a bieeeeen longtemps, avant que les enfants ne soient là... A la fin de ces vacances, nous n'arrivions plus à nous arrêter de bavasser: après 5 jours à déambuler main dans la main dans les rues de cette capitale, à parler, parler, et parler, nous étions lancés, tout était incroyablement fluide. [soupirs et violons]


Donc il faut du temps au couple, du temps pour parler et pour gravir peu à peu les échelons.

De ce fait, notre première année de mariage nous a poussés à mettre en place deux moyens de passer au niveau 5
- du temps pour nous: afin de nous assurer de parvenir régulièrement au niveau 5
- des raccourcis: (parce que dans tous les bons jeux vidéos, il existe des codes de triche pour zapper certaines difficultés /  passer directement à l'étape suivante), afin de nous catapulter au niveau 5 quand le besoin s'en fait sentir mais que le temps n'est pas là.

Du temps pour nous, cela a pris différentes formes selon les étapes de notre vie. Il y eut:

  • du temps au téléphone
quand, sans enfants, ma vie pro à moi me faisait passer la moitié de ma semaine dans des chambres d'hôtel. 
Nous nous assurions alors de prendre le temps d'une vraie bonne conversation au téléphone (sans film en fond). Cela nous facilitait les retrouvailles à chaque retour au bercail: nous reprenions plus facilement le fil.

  • des soirées jeux de société à deux, à la maison
pour contrer une tendance à passer nos soirées, soit chacun sur son ordi, soit ensemble en train de regarder une série. Au cours de notre deuxième ou troisième année de mariage, nous nous sommes ainsi bien marrés à nous faire l'intégrale de Friends (10 saisons, quand même!), mais l'automatisme de ce RDV devant un écran peut vite représenter un frein à l'intimité.
Jouer, ça oblige à déconnecter les appareils, et à connecter les esprits. Nous rigolions, nous nous détendions, nous parlions!
La lecture de bouquins à deux a également rempli cette fonction.

  • un resto hebdomadaire
quand, au cours de notre époque strasbourgeoise, la conjonction {Monsieur Bout a des horaires de boulot de fous + F. sait parler + les enfants se couchent mal} tua nos soirées. 
Cela nous assurait ainsi au moins une soirée en couple par semaine, un moment sans interférences pour nous parler, nous amuser, nous retrouver: la baby-sitter étant bookée, et la soirée étant fixe, cela permettait à Monsieur de la "réserver" dans son agenda pro, et à moi, de la réserver dans notre agenda familial: nous n'étions pas disponibles les lundis soirs, point! 
C'était un budget, mais comme je le dis prosaïquement à Monsieur Bout lorsqu'il me le fit remarquer: 
"ça nous coûtera toujours moins cher qu'un divorce!"
Par ailleurs, au bout de quelques semaines, un coup d’œil sur le budget nous avait incités à convenir ensemble que nous limiter, pour ces soirs, à de petits restos pas chers du tout, servirait tout aussi bien la cause sans non plus épuiser nos finances (Monsieur Bout aurait même été prêt à envisager l'option fast-food mais là c'est moi qui ai bloqué. Ceci dit si cela avait été la condition sine qua non à la preservation de nos petits RDV, je me serais montrée moins fine bouche). 
Et à la belle saison, un pique-nique ou une pizza à emporter, dégustés sur un banc dans un parc sympa, peuvent aussi faire l'affaire.

  • quelques jours de mini voyage de noces en amoureux
en laissant les enfants aux grands-parents: nous avions comme objectif de faire cela une fois par an, avec toutefois la condition que le plus jeune enfant devait être âgé d'au moins un an: quel bonheur ce fut, ces quelques jours, autour des 14 mois de F., puis, quand E. eut atteint un âge équivalent, à l'été 2016
Ce n'est malheureusement plus envisageable pour le moment du fait de certaines tensions intergénérationnelles, mais nous espérons pouvoir remplacer cela, au moins, par un weekend en s'appuyant sur d'autres personnes de notre entourage (amis, frères et sœurs)

  • du coup, nous avons remplacé cela par une journée en amoureux par trimestre
A Strasbourg, nous bookions un créneau supplémentaire auprès de notre nounou à domicile, et zou! Mais parmi nos amis, avaient aussi lieu des trocs d'enfants: ce samedi je vous prends les vôtres, et hop, on se renverra l'ascenseur une autre fois.
Nous nous sommes ainsi offert une virée au marché de Noël de Colmar, ou une journée à Europapark ...  puis, quelques mois plus tard, encore une! (parce que c'était trop bon). Nous avions également prévu une journée spa mais n'avons finalement pas eu le temps...
Malmenés par le déménagement, et des premiers mois très intenses professionnellement pour Monsieur, nous nous réjouissons: une journée en amoureux est prévue pour début janvier!


En complément de ces moments privilégiés, nous avons aussi eu recours à des 

raccourcis permettant de placer directement le curseur dans la zone "parlons de nous". 

Les deux premiers nous viennent directement de notre première année de mariage, ils ont contribué à déboucher les voies de la communication

  • "merci"
merci d'avoir rangé la vaisselle, 
merci pour ce bon repas, 
merci pour les chaussettes propres, les poubelles sorties, la facture réglée... 
Dans une atmosphère chargée électriquement, commencer par des mercis désamorce déjà beaaaaucoup de conflits! Celui qui prononce le merci fait l'effort de se mettre dans le positif, et quitte sa position d'agresseur, celui qui l'entend se sent déjà bien plus reconnu, et sort du rôle du coupable.
Dans tous les cas, cela permet bien d'éviter ce fameux piège où l'autre, et ce qu'il fait pour nous, est acquis, et où on ne voit plus que ce qui n'est pas fait...
Dans le plus profond de la vague, nous avons passé une semaine à nous focaliser sur tous les mercis que nous pouvions dire à l'autre: certes, il était important que nous soyons ensuite capables d'échanger sur nos souhaits de changement etc, mais en reconnaissant déjà tous les efforts faits par l'autre cela a pu se faire de manière bien plus apaisée! 

Aujourd'hui, nous essayons de nous en rappeler quand nous avons des reproches à formuler. Moi qui ai accueilli Monsieur avec la soupe à la grimace tous les soirs lors de nos débuts dans notre nouvelle maison, en mode "c'est à c't'heure-ci qu'tu rentres?", il m'en a fallu du temps et des efforts pour réussir à ne plus l'assommer de reproches sitôt franchi le pas de porte, puis à formuler des "mercis pour la poubelle sortie ce matin / le fruit épluché à mon intention avant de partir quand nous dormions encore". 
Et pourtant, quand l'atmosphère est tendue, entendre un merci, qu'est-ce que ça détend!! 

Bonus: c'est comme en parentalité positive, hein, relever le positif est bien plus incitatif et encourage bien plus des comportements analogues, que pointer le négatif...


  • "à quoi penses-tu?"
Haha, alors celui-là, on le connaît bien, il peut faire un gros bide. 
C'est pourquoi chez nous il obéit à deux règles du jeu très importantes

1. Il faut oser poser la question... et être prêt à entendre la réponse: chez nous, il s'agit d'un code voulant dire "je veux communiquer avec toi", donc on est en posture d'écoute
    • ni en train d'enfiler ses chaussures pour partir très vite pendant que l'autre commence à répondre, 
    • ni aux aguets pour l'interrompre au bout d'une demi-phrase "tiens ça me fait penser que...". 

2. L'autre DOIT répondre,
    • "à rien" n'est pas une réponse autorisée (ni "à rien de précis", ni "bof, des bêtises + détournement de la conversation" ). 
    • soit on pensait effectivement à pas grand chose d'important, mais même partager cela fait partie de l'intime, et nous a offert 
      • de grandes parties de rigolade ("j'étais en train de m'imaginer en train de me disputer avec la Queen sur l'éducation des enfants que j'aurais eus avec le Prince William - dialogue précis inclus"), 
      • et/ou de grands moments de découverte de l'imaginaire / du fonctionnement du cerveau de l'autre : quand on se retrouve à détricoter pour l'autre le chemin tortueux qu'a suivi notre cerveau pour nous faire passer d'un thème à un autre...
    • soit on pensait à quelque chose d'un peu plus important, et raté, on ne peut pas le passer sous le tapis, on est obligé de le sortir.  
    • très souvent d'ailleurs, chez moi en tous cas, je me retrouve à partager des soucis de l'ordre "j'ai encore 13004 choses à faire sur ma to-do list". Quand un "à quoi penses-tu" vient me piéger, je me retrouve obligée de partager mon souci et pôf, miracle, cette fameuse charge mentale dont on parle tant s'allège.
    • bien entendu, si la règle veut qu'on soit obligé de dire ce qu'on pense, on a tout de même le droit d'habiller légèrement la forme
      • on peut avoir été en train de penser quelque chose d'assez blessant pour son conjoint, à nous de trouver une manière d'en parler qui ne le soit pas. 
      • Je l'avoue sans fausse honte: j'ai déjà transformé un "j'étais en train de me rêver dans les bras d'un de mes charmants collègues" en un "je réalise qu'on n'a pas passé de temps ensemble depuis un bout de temps, ça nous éloigne". (ce qui n'implique d'ailleurs pas qu'il faille forcément se priver de la première phrase, hein. J'ai déjà fait l'expérience de la manière dont parler d'une petite faiblesse de ce genre à son conjoint suffit à ôter à cette représentation tout son aspect envoûtant. Mais encore faut-il qu'en face, cela puisse être encaissé.)


  • Plus récent, mais abondamment utilisé chez nous : "parle moaaaah" ou "on ne se parle plus / on a plus rien à se dire, faut qu'on parle!
ça manifeste l'envie d'entrer en relation, de rejoindre l'autre, et non de vivre en mode "colocation qui gère des gosses".
La dernière phrase a d'ailleurs été très fréquemment entendue ces derniers mois chez nous. 
Dite et redite sans nécessairement être suivie d'effet, elle a servi comme une sorte de jingle à la 
"toutes nos lignes sont actuellement occupées, mais nous faisons notre possible pour revenir vers vous au plus vite" (sans l'option "4 saisons" de Vivaldi...)
= une manière de nous manifester l'un l'autre que même si les vents nous étaient contraires, nous continuions à avoir envie de communiquer, et qu'un jour nous le ferions.


Et voilà... Maintenant qu'on a dit tout ça, hein, ben je vais vous dire le plus beau: c'est comme en parentalité positive, on se crée une belle boîte à outils et on ne manque JAMAIS d'occasions de s'en servir.
C'est pourquoi je suis bien, bien contente de ces vacances de Noël et du fait qu'elles me permettent de passer un peu plus de temps avec le charmant jeune homme avec qui je vis en coloc depuis bientôt 10 ans. J'm'en vas donc rouler des mécaniques et user avec lui du muscle le plus sexy dans un couple: la... parlotte, vous l'aurez compris. (nous sommes sur un blog sérieux, que diable)

J'le sens bien, y a moyen d'conclure!

7 commentaires:

  1. Salut Gwendo,
    Suis d'accord sur le fait qu'il est nécessaire de se parler régulièrement pour que le niveau 5 soit atteint plus facilement... Mais aussi que quand ça coince, un des moyens de prendre un raccourci peut également être une relecture (même en solo) des Langages de l'amour de Gary Chapman (ou plus adapté, les Saisons du mariage) afin de se remémorer de quoi son conjoint a besoin pour se sentir aimé.
    Bises Amélie

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  2. Intéressant cette muscu ! du temps pour se parler voilà bien quelque chose qu'il faudrait qu'on arrive à mettre en place. Parce que je ne sais pas chez vous mais chez nous les enfants envahissent constamment l'espace sonore ! et supportent visiblement assez mal que leurs parents se parlent, échangent : ils nous coupent systématiquement la parole ! Comme en plus je partage ma vie avec un taiseux c'est pas facile d'atteindre le niveau 5. En même temps comme il parle peu il prend plein de raccourcis ! Nous usons aussi assez fréquemment du pouvoir du merci quand on sent que l'ambiance se dégrade. Et sinon encore une fois "Les mots sont des fenêtres" nous accompagne plutôt bien. Quand je suis accueillie par une soupe à la grimace le soir même si je le prends plutôt mal et me dis que franchement il exagère, moi, qui fait tooouuuut mon possible pour que ça se passe bien, moi qui trime du matin au soir, qui me lève la première, qui lui mets des chaussettes propres dans son tiroir à chaussettes (desfois), qui est (presque) tout le temps de bon humeur... passer cette première réaction donc, je me dis : OK il éprouve visiblement un sentiment désagréable parce qu'un besoin n'est pas comblé. ET ça se traduit par une subtile invitation à exprimer son sentiment, ou une tentative de décryptage du type "veux-tu que j'emmène les enfants faire un tour une petite demi-heure ?", "Ce soir je me charge du repas !"...
    Les longs trajets en voiture sont également une occasion rêvée pour rattraper tout le temps de parlotte perdue ! (à condition que les enfants dorment bien sûr...)

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    1. Ah je compatis, nos enfants aussi monopolisent la parole, pas moyen de discuter sans entendre "heinnnnn ? quoiiiiii ? qu'est-ce que vous diseeeeez ?"

      sauf à parler en anglais ce qui réduit considérablement la profondeur des échanges ! ;-)

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    2. Idem chez nous! Nous y travaillons mais... pfiou !
      Et pareil, du coup les longs trajets en voiture sont toujours regardés avec beaucoup d'intérêt (et les mêmes restrictions que chez vous. Vive la musique avec possibilité de régler les hauts parleurs de derrière à un volume plus fort que ceux de devant...)

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  3. très bon article !
    ça m'a fait penser à "couples et complices" .

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